L'arrêt de la Cour de Justice de la République du 4 août 2011 dans l'affaire TAPIE
L'an deux mil onze et le quatre août;
La Commission des requêtes près la Cour de justice de la République;
Vu les articles 68-1 et 68-2 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu les articles 13 et 14 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la
République;
Vu la demande d'avis du Procureur général près la Cour de cassation, ministère public près la Cour de
justice de la République en date du 10 mai 2011 enregistrée sous le n° 11/14 relative à une
procédure dirigée contre Mme Christine Lagarde, ministre chargé de l'économie;
Vu les pièces jointes à la demande d'avis;
Après avoir entendu, à la séance du 04 août 2011, les membres de la commission désignés comme
rapporteurs;
Après en avoir délibéré:
Attendu que, par requête en date du 10 mai 2011, le ministère public près la Cour de justice de la
République a demandé à la commission des requêtes son avis sur la saisine de la commission
d'instruction contre Madame Christine Lagarde, pour délits commis dans l'exercice de ses fonctions
de ministre chargé de l'économie;
Attendu que de cette demande et des pièces soumises à la commission résultent les faits suivants:
Entre juillet 1990 et janvier 1991, les époux Tapie, par l'intermédiaire de plusieurs sociétés dont ils
avaient le contrôle, ont acquis la presque totalité des actions de la société Adidas avec le concours
financier de la Société de banque occidentale (SDBO) filiale du Crédit lyonnais.
En décembre 1992, M. Bernard Tapie étant devenu député, puis ministre de la ville, un document
appelé "mémorandum" a été signé entre, d'une part, les époux Tapie et les sociétés du groupe Tapie
et, d'autre part, la SDBO. Les premiers s'engageaient à vendre, au plus tard le 15 février 1993, au prix
de deux milliards quatre-vingt-cinq millions de francs, leurs parts d'Adidas aux acquéreurs qui
seraient désignés par la SDBO et à consacrer le prix de la vente au remboursement des concours
consentis par celle-ci. Le 12 février 1993, huit sociétés, parmi lesquelles la société Clinvest, filiale du
Crédit lyonnais, se sont portées acquéreurs au prix convenu. Le même jour, les sociétés cessionnaires
ont elles mêmes consenti à M. Louis-Dreyfus une option d'achat des actions Adidas au prix de trois
milliards quatre-cent-quatre-vingt-dix-huit millions de francs. Cette option a été levée par l'intéressé,
le 22 décembre 1994.
A la même époque, ne pouvant faire face à leurs engagements, les époux Tapie et les sociétés de leur
groupe ont fait l'objet de mesures de redressement puis de liquidation judiciaire, à l'exception d'une
des sociétés, Bernard Tapie Finances devenue Compagnie européenne de distribution et de pesage.
Les mandataires judiciaires ont alors engagé plusieurs actions en justice en reprochant à la SDBO et
au Crédit lyonnais, d'une part, d'avoir soutenu abusivement les sociétés du groupe Tapie, d'autre
part, de s'être appropriés la plus-value réalisée lors de la vente des actions à M. Louis-Dreyfus.
Parallèlement, à partir de 1993, le Crédit lyonnais s'est trouvé en difficulté, à la suite de
financements hasardeux au cours des années précédentes et l'Etat a dû intervenir pour le soutenir.
Le 5 avril 1995, un protocole relatif à la cession de divers actifs douteux a été signé entre l'Etat et la
banque. Il a été suivi de plusieurs avenants, qui comportaient notamment des dispositions spéciales
relatives aux "risques non chiffrables" dépendant de l'issue de procédures contentieuses. Ce
protocole et les premiers avenants déjà signés ont été validés par la loi n° 95-1251 du 28 novembre
1995 relative à l'action de l'Etat dans les plans de redressement du Crédit lyonnais et du Comptoir
des entrepreneurs. Pour mettre en oeuvre les opérations dites de "défaisance", concernant le Crédit
lyonnais, a été créé l'Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR), aux droits de
la Société de participation banque et industrie, placé sous la tutelle du ministre chargé de
l'économie. Selon la loi, cet établissement public, propriétaire de toutes les actions de la société de
droit privé dénommée Consortium de réalisation (CDR), était chargé de gérer le soutien financier de
l'Etat à cette société, celle-ci étant chargée de la réalisation des actifs cantonnés.
Le 7 novembre 1996, le tribunal de commerce de Paris, statuant dans une des instances engagées
par les mandataires judiciaires a jugé que la SDBO avait commis des fautes dans ses relations avec le
groupe Tapie et ordonné une expertise pour évaluer le préjudice en résultant.
Par courriers du 17 septembre 1999, le ministre chargé de l'économie a fait connaître aux présidents
du CDR et du Crédit lyonnais que le "contentieux Adidas" s'inscrivait dans les "risques non
chiffrables" évoqués ci-dessus et relevait donc de la garantie de l'Etat.
En 2004 une procédure de médiation, sollicitée par les liquidateurs et confiée à M. Burgelin,
procureur général près la Cour de cassation, a échoué, semble-t-il du fait de l'intransigeance des
liquidateurs.
Le 30 septembre 2005, les instances judiciaires ayant été reprises, la cour d'appel de Paris, estimant
que la SDBO et le Crédit lyonnais avaient commis des fautes dans l'exécution de leur mission de
mandataire, a condamné le CDR et le Crédit lyonnais à payer aux mandataires liquidateurs une
indemnité de 135 millions d'euros.
Statuant sur les pourvois formés contre cette décision, par un arrêt du 9 octobre 2006, l'assemblée
plénière de la Cour de cassation, après avoir rejeté un moyen tiré de l'irrecevabilité à agir des
mandataires judiciaires, a cassé l'arrêt de la cour d'appel du chef de la condamnation prononcée.
L'arrêt a retenu, d'une part, que les motifs de la cour d'appel étaient impropres à caractériser
l'immixtion du Crédit lyonnais dans l'exécution du mandat délivré à sa filiale, et donc à fonder l'action
en responsabilité contractuelle engagée contre cette banque, d'autre part, s'agissant des fautes
reprochées à la SDBO, qu'il n'entre pas dans la mission du mandataire de financer l'opération pour
laquelle il s'entremet et que la décision du banquier d'octroyer ou non un crédit est discrétionnaire.
Dans un premier temps la cour de renvoi a été saisie, puis par courrier du 30 janvier 2007, les
mandataires judiciaires, invoquant l'intérêt général et la volonté de ne pas alourdir les frais
judiciaires de la procédure collective, ont proposé au CDR de recourir à un arbitrage pour mettre un
terme au litige, ainsi qu'aux procédures qui en dérivaient, notamment celles relatives aux
liquidations judiciaires, à l'indemnisation du préjudice subi par les époux Tapie du fait de leur mise en
liquidation judiciaire, ou à celles qui avaient été engagées par ailleurs, comme l'action en dommagesintérêts
pour soutien abusif et rupture abusive de crédit contre le CDR et le Crédit lyonnais.
Par courrier du 1er août 2007, et alors que venaient d'être déposées devant la cour d'appel de
renvoi, des conclusions tendant au paiement de dommages-intérêts élevés à 7,4 milliards d'euros
représentant 78 % de la valeur des titres Adidas en 2007 et, subsidiairement, de la somme de 863
millions d'euros au titre de la violation de l'obligation de loyauté du mandataire, les mandataires
judiciaires ont renouvelé leur demande de recours à l'arbitrage.
Le 11 septembre suivant, ainsi qu'il résulte d'une note datée du 17 septembre 2007 du directeur de
l'Agence des participations de l'Etat, celui-ci a été informé, au cours d'une réunion tenue au cabinet
du ministre de l'économie et des finances, en présence du président du conseil d'administration du
CDR, M. Jean-François Rocchi, nommé à ce poste le 20 décembre 2006, de l'intention de ce dernier
d'accepter la demande d'arbitrage et de la décision définitivement prise par le Gouvernement de
donner son accord de principe, à travers le conseil d'administration de l'EPFR, à l'ouverture d'une
telle procédure.
Le conseil d'administration du CDR, puis celui de l'EPFR, sous la présidence de M. Bernard Scemama,
nommé à ces fonctions par décret en conseil des ministres en date du 15 septembre 2007, se sont
prononcés respectivement les 17 septembre et 2 octobre pour le premier, le 10 octobre suivant pour
le second, en faveur de cette procédure. Un compromis d'arbitrage a été signé le 26 novembre 2007.
Les mandataires judiciaires déclaraient, dans cet acte, limiter le montant de l'ensemble de leurs
demandes à 295 millions d'euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 1994,
pour le préjudice matériel et à 50 millions d'euros pour la réparation du préjudice moral des époux
Tapie. Il était précisé que les arbitres statueraient en droit et seraient tenus par l'autorité de chose
jugée et notamment par l'arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006, mais que la sentence ne
serait pas susceptible d'appel.
La sentence a été rendue le 7 juillet 2008. Elle a retenu, à la charge du Crédit lyonnais, une violation
de l'obligation de loyauté et de l'interdiction de se porter contrepartie. Le tribunal arbitral a
condamné de ces chefs le CDR et sa filiale, CDR créances, à verser aux mandataires judiciaires des
sociétés du groupe Tapie, la somme de 240 millions d'euros avec intérêts au taux légal, sous
déduction pour le calcul de ces intérêts, de la créance hypothécaire du CDR sur l'immeuble parisien
de la rue des Saints-Pères occupé par les époux Tapie. Le CDR et sa filiale ont été également
condamnés à payer à ces mêmes mandataires judiciaires se « substituant » à M. et Mme Bernard
Tapie la somme de 45 millions d'euros au titre du préjudice moral.
La sentence ayant été revêtue de l'exequatur, le 17 juillet suivant, et les conseils d'administration du
CDR et de l'EPFR ayant renoncé, par délibérations du 28 du même mois, à tout recours en annulation,
un protocole d'exécution a été signé le 16 mars 2009. Suite à ce protocole le CDR s'est trouvé devoir
une somme totale de 403 millions d'euros aux parties adverses et, après compensation avec diverses
créances, il aurait versé un montant net de près de 304 millions d'euros.
Dès septembre 2008, la commission des finances de l'Assemblée Nationale a entrepris une série
d'auditions destinées à éclairer les conditions du recours à la procédure d'arbitrage et les raisons
pour lesquelles il avait été décidé de ne pas former de recours en annulation contre la sentence. Le
rapport de la commission a été publié en avril 2011. Il concluait que le recours à l'arbitrage, décidé
par le ministre qui avait donné des instructions en ce sens était une faute, que la représentation
nationale n'aurait pas dû être tenue à l'écart et qu'étant donné les montants considérables de
l'indemnisation, l'abandon du recours en annulation, après instruction du ministre, constituait une
autre faute.
Plusieurs parlementaires ont alors dénoncé, par courriers des 1 er et 6 avril 2011 adressés au
procureur général près la Cour de cassation, les nombreuses anomalies qui avaient entouré
l'arbitrage et pouvaient faire soupçonner que Mme Lagarde avait commis des faits pouvant être
qualifiés d'abus d'autorité, faux, usage et complicité de détournement de fonds publics dans
l'exercice de ses fonctions ministérielles.
Le 8 avril 2011, le procureur général près la Cour des comptes a fait parvenir à celui de la Cour de
cassation les résultats des contrôles effectués sur la gestion de l'EPFR et du CDR pour les exercices
2007, 2008 et 2009.
Le 11 avril 2011, le ministère de l'économie des finances et de l'industrie a transmis au procureur
général près la Cour de cassation, les documents en sa possession relatifs à l'arbitrage.
Le 25 mai 2011, le procureur général près la Cour des comptes a renvoyé le dossier devant la Cour de
discipline budgétaire et financière pour qu'il soit instruit sur les nombreuses irrégularités, relevées
dans la gestion du CDR et de l'EPFR notamment à l'encontre de leurs présidents, Messieurs Jean-
François Rocchi et Bernard Scemama, irrégularités susceptibles de constituer l'infraction prévue à
l'article L 313-4 du code des juridictions financières.
Le 9 juin 2011, ce même magistrat a dénoncé au procureur de la République de Paris, en application
de l'article 40 du code de procédure pénale, des faits susceptibles de constituer des abus de pouvoirs
ou de biens sociaux, qui auraient été commis dans la gestion du CDR à l'occasion du litige avec le
groupe Tapie.
Enfin, à plusieurs reprises, et spécialement les 27 mai et 8 juin, Maître Repiquet, avocat du ministre,
a spontanément adressé à la commission des notes en défense.
Sur ce:
Attendu que le processus, qui a conduit au prononcé de la sentence du 7 juillet 2008 et à la
condamnation du CDR au paiement de sommes élevées à la charge des finances publiques comporte
de nombreuses anomalies et irrégularités;
Attendu que le "contentieux Adidas" n'était visé ni par le protocole du 5 avril 1995 ni par la loi du 28
novembre 1995; que, selon le référé au Premier ministre de la Cour des comptes, du 12 novembre
2010 relatif à la "défaisance" du Crédit lyonnais, le courrier ministériel du 17 mars 1999, qui a
étendu, sans validation législative, la garantie du CDR au contentieux lié à la cession des
participations de la société Adidas, était privé de fondement juridique ; qu'en outre les raisons de
cette décision n'apparaissent pas clairement;
Attendu que la légalité du recours à l'arbitrage par le CDR, propriété de l'EPFR qui assume ses risques
de pertes en application de la loi du 8 novembre 1995, apparait, incertaine au regard des dispositions
de l'article 2060 du code civil, selon lequel on ne peut compromettre sur les contestations
intéressant les organismes publics, et plus généralement dans toutes les matières intéressant l'ordre
public, que cependant, aucun avis n'a été demandé au Conseil d'Etat;
Attendu qu'en opportunité le recours à la procédure d'arbitrage était tout aussi contestable ; que ce
sont les mandataires judiciaires du groupe Tapie qui en ont eu l'initiative, alors que les chances de
succès de l'instance judiciaire engagée par eux douze ans plutôt, étaient à tout le moins
sérieusement compromises par l'arrêt de cassation; que le principe du recours à l'arbitrage, qui
aurait été arrêté au moment de la prise de fonction, le 18 mai 2007, du nouveau ministre chargé de
l'économie, M. Jean-Louis Borloo, ainsi qu'il résulte de l'audition de son directeur de cabinet par la
Cour des comptes le 20 juillet 2010, a été retenu malgré l'opposition manifestée à plusieurs reprises,
et dès le 27 février 2007, par le directeur général de l'Agence des participations de l'Etat; que, selon
la note établie par celui-ci le 1er août 2007 à l'intention de Mme Lagarde, qui a succédé à M. Borloo
le 18 juin 2007, le recours à un arbitrage n'apparaissait pas justifié, le CDR étant sorti renforcé de
l'arrêt de cassation et disposant de solides moyens de droit devant la cour d'appel de renvoi; que
cette note soulignait les inconvénients et les aléas d'un arbitrage, qui exposerait le CDR et donc l'Etat
à un risque majeur, compte tenu des revendications déraisonnables affichées par la partie adverse
dans les conclusions déposées en juin 2007, conclusions qui pourraient être prises en compte par les
arbitres, malgré leur absence de fondement juridique, dans un souci de conciliation ; que cet avis
déconseillait au ministre de s'engager dans la voie d'un arbitrage, qui n'était justifié ni du point de
vue de l'Etat, ni du point de vue du CDR, et pourrait être considéré comme une forme de concession
inconditionnelle et sans contrepartie faite à la partie adverse; que le ministre, dans sa note, en date
du 10 octobre 2007, aux administrateurs représentant l'Etat au conseil d'administration de l'EPFR, a
cependant donné instruction à ceux-ci de se prononcer en faveur de la proposition qui lui avait été
soumise pour avis par le CDR; que la crainte, invoquée par le ministre devant la commission des
finances de l'Assemblée Nationale, de voir s'allonger la durée des instances judiciaires et s'accroître
le montant des honoraires d'avocat déjà exposés par le CDR, explique mal l'abandon de ces
procédures; que celles-ci étaient proches de leur terme, l'article 131-4 du code de l'organisation
judiciaire disposant que, lorsque le renvoi est ordonné par l'assemblée plénière de la Cour de
cassation, la juridiction de renvoi doit se conformer à la décision de cette assemblée sur les points de
droit jugés par elle, et l'autorité de la chose jugée faisant obstacle à ce qu'une demande déjà rejetée
puisse être à nouveau présentée sur un fondement juridique distinct ; qu'ainsi que le relève les
réquisitoires de renvoi de MM. Scemama et Rocchi devant la Cour de discipline budgétaire et
financière, pour les fautes qui auraient été commises dans la gestion de ce contentieux, les
honoraires versés aux conseils choisis pour défendre à l'arbitrage, en lieu et place de l'avocat
historique du CDR, hostile à cette procédure, équivalent à ceux qu'auraient représenté plusieurs
années de nouvelles procédures judiciaires;
Attendu que le compromis d'arbitrage, tel qu'accepté par le CDR apparaît également et à de
nombreux égards irrégulier; que le Crédit lyonnais, ainsi qu'il résulte d'une lettre du président de son
conseil d'administration, en date du 16 novembre 2010 au président de la première chambre de la
Cour des comptes, a été exclu de la procédure d'arbitrage; que, par courrier adressé le 28 septembre
2007 au président du CDR, il s'était déclaré fort réservé à l'égard de cette procédure compte tenu de
l'arrêt très favorable de la Cour de cassation et qu'il a, en conséquence, refusé de verser la
contribution forfaitaire de 12 millions d'euros à laquelle était pourtant subordonnée la garantie du
CDR; que la lettre ministérielle du 17 mars 1999 ne prévoyait pas la garantie du CDR pour
l'indemnisation d'un préjudice personnel des époux Tapie au titre de leur mise en liquidation
judiciaire; que le président du CDR a cependant accepté, en signant le compromis du 16 novembre
2007, de soumettre à l'arbitrage cette demande, d'un montant sans précédent, présentée au titre
d'un préjudice moral fondé sur des fautes imputées au Crédit lyonnais, qui n'était pas partie à la
procédure; qu'en acceptant de voir figurer ce poste de préjudice dans le compromis, M. Rocchi
pourrait au demeurant, selon le ministère public de la Cour des comptes, avoir commis un abus de
ses pouvoirs sociaux; que le conseil d'administration du COR paraît ne pas avoir été informé
régulièrement de cette acceptation; que, dans la version du compromis soumise au conseil
d'administration du CDR le 2 octobre 2007, il était seulement mentionné que les demandes des
mandataires-liquidateurs au titre du préjudice des époux Tapie étaient limitées à 50 millions d'euros;
que le conseil d'administration n'a pas davantage été informé de la position du Crédit lyonnais sur la
procédure envisagée; que les demandes au titre du préjudice matériel apparaissent tout aussi
excessives, alors que le CDR, qui n'était pas demandeur à l'arbitrage, pouvait dicter ses conditions et
se référer aux condamnations prononcées par la cour d'appel, laquelle n'avait alloué qu'un euro
symbolique pour le préjudice moral et 135 millions d'euros, intérêts compris, pour le préjudice
matériel, tandis que le plafond accepté de ce chef pouvait atteindre, avec les intérêts, 450 millions
d'euros; qu'alors qu'il prévoyait que le tribunal statuerait en droit et en respectant les décisions
judiciaires déjà rendues, le compromis, selon la formule de M. le Professeur Clay devant la
commission des finances de l'Assemblée Nationale, enserrait singulièrement le pouvoir des arbitres
et pouvait s'assimiler à une transaction, l'une des parties renonçant à des actions en justice pour
obtenir une contrepartie;
Attendu que le choix des arbitres n'apparait pas conforme aux pratiques habituelles; que les trois
arbitres, dont les noms étaient connus dès la réunion du 11 septembre 2007 au cabinet du ministre,
ont été choisis d'un commun accord entre les parties, avant même la rédaction du compromis, alors
que l'usage aurait voulu que les modalités de cette désignation soient fixées dans cet acte et que
chaque partie choisisse son propre arbitre, ceux ainsi désignés nommant à leur tour un président;
que les liens de l'un des membres du tribunal arbitral avec le conseil de l'une des parties et
l'appartenance d'un autre aux instances dirigeantes du parti politique auquel adhérait M. Tapie, ont
permis à la Cour des comptes de considérer, dans son rapport délibéré le 27 octobre 2010, que la
composition de ce tribunal était d'emblée défavorable au CDR;
Attendu que la sentence rendue a presqu'entièrement fait droit aux demandes des époux Tapie et
des mandataires judiciaires; qu'elles ont été satisfaites à hauteur de 80 % pour le préjudice matériel
et de 90 % pour le préjudice moral; que la somme de 45 millions d'euros a été allouée de ce dernier
chef, sur le seul fondement d'un acharnement exceptionnel de la banque à l'égard des époux Tapie
en vue de briser chez eux tout avenir professionnel et toute réputation, sans que le Crédit lyonnais
ait pu faire valoir ses arguments en défense, et après que le CDR avait renoncé à soulever
l'irrecevabilité de cette demande des mandataires judiciaires, se satisfaisant de l'assurance que les
époux Tapie verseraient cette somme pour couvrir l'éventuelle insuffisance d'actif de leur liquidation
judiciaire;
Attendu qu'alors que des consultations de sociétés d'avocats spécialisés pouvaient laisser espérer
une chance d'annulation de la sentence, le ministre a, sans attendre l'expiration du délai d'un mois
suivant la signification de la décision, dont disposait le CDR pour se prononcer, demandé par écrit
aux administrateurs représentant l'Etat de s'exprimer en défaveur d'un recours en annulation; que
des instructions orales auraient même été données à M. Scemama pour que celui-ci, contrairement à
la pratique de ses prédécesseurs, participe lors de la délibération du CDR du même 28 juillet, au vote
en défaveur de ce recours, acquis par trois voix contre deux;
Attendu que de l'ensemble de ces décisions systématiquement défavorables aux intérêts du CDR de
l'EPFR et de l'Etat résultent des indices graves et concordants faisant présumer que, sous l'apparente
régularité d'une procédure d'arbitrage, se dissimule en réalité une action concertée en vue
d'octroyer aux époux Tapie et aux sociétés dont ils détiennent, directement ou indirectement, le
capital, les sommes qu'ils n'avaient pu jusqu'alors obtenir, ni des tribunaux judiciaires, ni par la
médiation tentée en 2004, ni lors d'une seconde négociation menée en 2006 après le prononcé de
l'arrêt de la cour d'appel de Paris, celle-ci ayant également été abandonnée, compte tenu des
prétentions jugées inacceptables de M. Tapie;
Attendu que la sentence rendue a permis aux époux Tapie et aux sociétés du groupe Tapie dont la
situation était, selon certains observateurs, irrémédiablement compromise dès 1992, d'échapper aux
conséquences des procédures collectives dont ils étaient l'objet et de se constituer un patrimoine
important;
Attendu que l'exécution de la décision a entraîné le règlement par l'EPFR, en sa qualité de garant du
CDR, de sommes dont la charge sera en définitive supportée par l'Etat;
Attendu que ces faits, à les supposer démontrés, sont susceptibles de constituer à la charge de Mme
Lagarde les délits de complicité de faux par simulation d'acte et de complicité de détournement de
fonds publics, prévus et réprimés par les articles 121-7, 432-15 et 441-1 et suivants du code pénal;
qu'en effet le ministre parait avoir personnellement concouru aux faits notamment en donnant des
instructions de vote aux représentants de l'Etat dans le conseil d'administration de l'EPFR, voire au
président de cet établissement public en sa qualité de membre du conseil d'administration du CDR;
Qu'il y a lieu, en conséquence, d'émettre un avis favorable à la saisine de la commission d'instruction
de la Cour de justice de la République aux fins d'instruire contre Mme Christine Lagarde;
Ainsi décidé, par la commission des requêtes composée de M. Gérard PALISSE, président, M. Hervé
PELLETIER, Mme Françoise CANIVET, M. Serge DAEL, M. Philippe MARTIN, Mme Martine BELLON,
membres titulaires, et M. Bruno REMOND, membre suppléant, en présence de Mme Assia BELLIER,
adjoint administratif faisant fonction de greffier.
Dit que la présente décision sera notifiée par le greffe au Procureur général près la Cour de cassation
ministère public près la Cour de justice de la République
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président et le greffier.